Le gouvernement australien a averti mardi 14 juin les 13 millions d’habitants des États de Queensland et de Nouvelle-Galles du Sud situés sur la côte est de l’Australie qu’ils devraient se préparer à des coupures de courant alors que le pays, un des principaux producteurs de charbon et de gaz, est en proie à une crise énergétique.
Le ministre de l’Énergie Chris Bowen a informé la population australienne, principalement celle de l’Est du pays, qu’elle pouvait se préparer pour cet hiver à une pénurie d’électricité. Le régulateur du marché de l’énergie australien a de son côté déjà averti que les réserves pourraient être insuffisantes dans les États de Victoria, d’Australie-Méridionale et de Tasmanie.
Quelques jours après son élection, le Premier ministre travailliste Anthony Albanese doit gérer une crise énergétique qui prend de plus en plus d’ampleur dans le pays, accentuée par différents facteurs géopolitiques, météorologiques et climatiques. Son gouvernement examine les moyens d’atténuer la crise qui a dominé les premières semaines de son mandat. Le régulateur national a tenté mardi de négocier avec les producteurs, mais le plafonnement des prix à 300 dollars australiens le mégawattheure (200 euros) dissuade nombre d’entre eux d’injecter davantage d’énergie dans le réseau. La piste consistant à forcer les entreprises à produire plus d’électricité a aussi été explorée par le régulateur qui avait activé ce levier lundi 13 juin pour éviter des coupures de courant dans le Queensland. L’Australie est l’un des trois premiers producteurs de gaz et de charbon du monde, mais près d’un quart des centrales thermiques de la côte Est sont actuellement à l’arrêt pour cause de pannes ou de travaux de maintenance.
La guerre en Ukraine a aussi fait grimper en flèche la demande d’exportation de gaz australien, absorbant ainsi tout excédent qui pourrait atténuer la pénurie sur le marché intérieur. Les problèmes d’approvisionnement ont été exacerbés par une vague de froid sur la côte Est, ce qui a incité les fournisseurs d’électricité à demander aux ménages de restreindre leur consommation d’énergie. Mardi 14 juin, le ministre de l’Énergie Chris Bowen s’est dit convaincu que le réseau est suffisamment approvisionné pour éviter les coupures de courant, à condition qu’il n’y ait pas d’autres pannes. Différents facteurs, notamment des températures basses, des pannes de centrales au charbon, les pressions géopolitiques et des inondations record sur le littoral Est pouvant se combiner pour conduire à une crise. L’an dernier, 71 % de l’électricité provenait des énergies fossiles et 51 % pour le seul charbon, selon les chiffres officiels.
Et en effet : le mercredi 15 juin à 14h05, l’Australian Energy Market Operator (AEMO), l’autorité de régulation énergétique, a suspendu le marché électrique australien pour la première fois de son histoire. Afin de prévenir les risques majeurs de rupture d’approvisionnement électrique (ou black-out), le régulateur a pris le contrôle de tous les actifs de production et les contraint désormais à produire les volumes qu’il détermine, au moment qu’il décide, et aux prix qu’il fixe discrétionnairement. Les producteurs privés d’électricité australiens sont ainsi devenus les exécutants d’un système électrique centralisé à prix administrés. Par son ampleur et sa radicalité, cette mesure est inédite dans les économies électriques modernes. Mais le régulateur australien n’a pas eu d’autre solution que de se substituer au marché et de compenser les pertes financières des producteurs par un prélèvement sur les consommateurs étalé sur le moyen terme.
Plus fondamentalement, l’Australie paye aujourd’hui les atermoiements de sa politique énergétique. Faute d’avoir pris avec suffisamment de vigueur le virage de la production d’électricité renouvelable à grande échelle, elle se trouve aujourd’hui dépendante de capacités de production d’origine fossile au fonctionnement opérationnel dégradé et aux coûts prohibitifs. L’enjeu ici n’est pas de réduire les émissions de CO2, mais simplement de « ne pas éteindre la lumière », selon le ministre australien de l’énergie.
Dans cette perspective, l’ensemble des experts appellent de leurs vœux la construction rapide de nouveaux actifs renouvelables de grande dimension, le renforcement des réseaux d’électricité et la création d’un marché de capacités rémunérant les producteurs pour leur capacité à produire lorsque le système en a besoin. Le nouveau premier ministre australien ne s’y est d’ailleurs pas trompé en annonçant une accélération forte de l’investissement renouvelable dans le cadre d’objectifs climatiques très fortement majorés.
Ainsi, c’est sur les énergies renouvelables mais surtout sur l’hydrogène que le pays compte s’appuyer pour décarboner son mix énergétique. Plusieurs projets de grande ampleur ont été annoncés ces derniers mois, notamment un partenariat à plusieurs millions de dollars avec l’Allemagne pour développer conjointement une économie de l’hydrogène. Berlin avait déjà annoncé sa volonté de développer dans le pays une production d’hydrogène afin de l’importer vers l’Allemagne. En Australie du sud, un projet de centaines de millions de dollars est actuellement en pourparlers, il comprendrait une centrale à hydrogène de 200 MW, un électrolyseur de 250 MWe et une infrastructure de stockage de 3 600 tonnes. Dans le Queensland, un des États concernés par le risque de pénurie électrique, un projet pilote de centrale hydrogène combinée à des installations de ravitaillement devrait être mis en service d’ici la fin de l’année 2023.
La France doit-elle apprendre de cette situation à l’autre bout du monde ?
Comme les centrales à charbon australiennes, le parc nucléaire français est ancien et subit des arrêts fréquents. Les hésitations sur le déploiement des énergies renouvelables (en particulier l’éolien terrestre) ne sont pas non plus l’apanage des lointaines terres australes. Ainsi, même si la comparaison a ses limites, car le nucléaire français n’émet pas de CO2, contrairement au charbon australien, les événements inédits du 15 juin à 17 000 km de Paris pourraient utilement nourrir la réflexion des auteurs de la très attendue « planification énergétique » à la française. Elle devra, à Paris comme à Canberra, fixer un cap clair… en faveur d’une accélération assumée des investissements de production d’électricité renouvelable ? sans doute, mais pas exclusivement !
(sources: AFP et Lemonde;fr)